Interview de Philippe Packu

Philippe Packu est un peu à part dans l’univers des cartes mentales. Passionné par l’apprentissage et les processus cognitifs qui le sous-tendent il illustre ce domaine par une créativité débordante allant jusqu’a réaliser des cartes qui repoussent toujours plus loin les limites du « Mind-mapping ». A l’occasion d’une rencontre à Bruxelles nous avons pu échanger autour de notre passion commune. Il partage avec nous ses réflexions.

1. Qui est Philippe PACKU créateur du site « www.drawmeanidea.com/ » et passionné par le « Mind mapping » ?

Adolescent des années 80, j’ai plongé dans les ordinateurs comme Obélix dans la potion. C’est donc assez naturellement que j’ai pris place dans les amphithéâtres de l’université de Liège en Belgique pour y obtenir au final un diplôme de master en sciences informatiques. Mais depuis tout petit, je suis surtout passionné par le dessin et sans cesse à la recherche d’une touche créative dans toutes mes réalisations.

J’ai débuté ma carrière professionnelle en tant qu’analyste des systèmes dans des entreprises de petites tailles. Très vite, j’ai préféré me focaliser sur l’étude des besoins et la dimension humaine des problèmes, plutôt que sur les solutions techniques. Ensuite, j’ai eu l’occasion de rejoindre le groupe Sony, ce qui m’a permis d’acquérir une grande expertise dans la modélisation des métiers, particulièrement ceux liés aux services en ligne.

Désormais, quelle que soit la direction que prendra ma carrière, je suis convaincu que mon objectif principal est, au travers de l’écoute, d’aider les gens et de trouver des idées ou des solutions qui leur permettront de surmonter les obstacles et de réaliser des choses dont eux-mêmes ignoraient être capables.

2. Ce chemin professionnel c’est aussi la rencontre avec le « mind mapping ». Comment cela s’est-il produit ?

J’ai découvert les cartes mentales (mind maps) il y a plus de 15 ans déjà. A l’époque, un consultant était venu nous conseiller en gestion d’entreprise. Il utilisait la technique du « mind mapping » au cours des réunions de travail et nous avions collaboré à la création de plusieurs cartes. L’utilisation des « mind maps » faisait partie de ses recommandations pour l’analyse de la situation et la mise en place des changements. Convaincu, j’avais acheté une licence de MindManager, un logiciel pour la création de « mind maps » sur ordinateur. Depuis ce jour et jusqu’il y a peu, je dessinais des cartes simples, aux sujets et objectifs très divers.

En 2011, alors que je recherchais des formations en créativité et innovation, j’ai découvert par hasard l’existence de Tony Buzan ainsi qu’une multitude de cartes mentales bien plus élaborées et visuellement plus attrayantes. En m’intéressant de plus près au sujet, je me suis rendu compte que ces cartes existaient depuis très longtemps.

Elles sont essentiellement réalisées à la main et suivent certaines recommandations telles qu’un meilleur usage de l’espace, des courbes, des images, des couleurs ainsi que des mots clés.

Grâce à Chris Griffiths, la société ThinkBuzan a conçu et commercialisé un logiciel de mind mapping révolutionnaire du nom de iMindMap. Il s’agit d’un des outils informatiques le plus flexible du marché pour la réalisation de cartes créatives et inspirantes. Tony et Chris ont également développé un programme de certification appelé ThinkBuzan Licensed Instructor (TLI) auquel J’ai eu la grande chance de participer à Londres. J’y ai d’ailleurs rencontrer Tony Buzan en personne.

Aujourd’hui, le « mind mapping » est devenu une activité quotidienne qui me procure énormément de plaisir. C’est un support qui est venu renforcer mon efficacité dans l’analyse des problèmes, la gestion des connaissances, la collaboration avec les clients et l’apprentissage avec les enfants. Toute cette passion se retrouve maintenant sur mon blog « drawmeanidea.com », avec la volonté de transmettre un vrai savoir et continuer à récolter un maximum d’expériences sur le terrain.

3. Que t’apporte la certification T. BUZAN ?

Au-delà de la découverte d’une catégorie bien particulière de « mind maps » et du logiciel iMindMap, la formation vise essentiellement à enseigner les raisons sous-jacentes qui rendent le « mind mapping » efficace et à libérer le potentiel cérébral dont nous disposons tous. Il s’agit aussi de découvrir les différents domaines d’application (pensée créative, prise de décisions, prise de notes, présentation, …) en considérant le « mind map » comme un support et non comme la solution miracle.

Je ne cache pas que le titre d’instructeur reconnu par T. Buzan et ses pairs apportent une certaine crédibilité, toute relative si on considère le grand nombre de détracteurs au courant Buzan. J’ai cependant accès à de nombreuses ressources (présentations, résultats de recherches, mises à jour du logiciel, …) et au large réseau d’instructeurs partout dans le monde. Je suis également formé et autorisé à dispenser les formations au nom de ThinkBuzan. Je peux certifier les participants pour la formation et l’usage de iMindMap et revendre le logiciel. Je peux agir en toute indépendance mais je suis tenu, par mon contrat de TLI, de ne pas nuire à l’image de la marque.

Ma rencontre avec Tony Buzan fut pour moi une révélation. La certification m’a évidemment permis de mûrir dans le domaine et d’acquérir des connaissances qui dépassent la simple création de cartes mentales. Mais j’ai surtout découvert un monde où j’allais enfin pouvoir exprimer ma créativité sur un support digital et la mettre au service des autres. Je n’avais aucune idée de l’essor que cela prendrait et j’étais surtout loin d’imaginer que mes cartes feraient le tour du monde.

4. Comment utilises-tu le « mind mapping » dans ta vie personnelle et professionnelle ?

Les applications sont très diverses et j’en découvre de nouvelles tous les jours. Sur le plan professionnel, j’apprécie beaucoup la technique pour collaborer avec d’autres personnes. Cela va de la simple discussion d’idées avec un collègue jusqu’au brainstorming à plusieurs, en passant par la facilitation de groupes de travail ou l’étude des besoins chez mes clients. Les cartes ont une vie. Elles grandissent et évoluent au fur et à mesure des interactions. Elles sont aussi un très bon support pour les présentations et les négociations.

Sur le plan personnel, les usages sont encore plus diversifiés. Je considère la technique assez efficace pour comparer des devis ou offres de fournisseurs (énergie, travaux, téléphonie, …). Le « mind map » offre une vue générale de toute l’information récoltée mais est aussi capable de capturer les spécificités de chaque option. Une fois l’analyse complète, il devient aisé d’évaluer les possibilités et de faire le meilleur choix. Mon épouse et moi utilisons les cartes pour planifier les travaux à la maison ou organiser des événements (fêtes de famille, cadeaux de Noël, …).

Mais le domaine qui m’intéresse le plus aujourd’hui, c’est l’apprentissage scolaire. Nous vivons dans une société où les mentalités et les technologies évoluent beaucoup plus vite que dans les écoles. Un grand décalage se crée et de plus en plus d’enfants éprouvent des difficultés sur les bancs de l’école. Le « mind mapping » est un outil qui peut aider certains enfants à surmonter l’échec scolaire, le manque de motivation et les difficultés d’intégration. Il est aussi particulièrement adapté pour les techniques d’enseignement dite « alternatives » à destination des déficients mentaux ou des enfants atteints de maladies de type « Dys ».

Je me suis fixé comme objectif de promouvoir l’usage de la cartographie mentale dans le milieu scolaire de la Communauté Française de Belgique. Avec les enfants, le corps enseignant, les autorités, les professionnels de la santé, les entreprises technologiques, je souhaite participer activement au développement de l’enseignement du futur.

5. Tes cartes sont très originales. Comment trouves-tu tes idées ?

Je cherche avec la plupart de mes cartes à répondre à un besoin bien spécifique qui s’étend bien au-delà de la simple communication d’information. Je m’inspire de la vie de tous les jours, essentiellement auprès des jeunes qui ont besoin d’un coup de pouce ainsi que dans le programme scolaire. J’essaie autant que possible de me glisser dans la peau du bénéficiaire afin d’imaginer la manière la plus adéquate d’aborder les problèmes et leur solution, tout en procurant un maximum de plaisir. Je m’inspire également de l’actualité et des nombreux articles que je consulte. En fait, mon esprit est en mode « mind mapping » permanent et s’il détecte une possibilité d’améliorer une situation en offrant un regard nouveau et différent, alors j’en prends bonne note pour étudier et développer le sujet ultérieurement.

J’attache également beaucoup d’importance à la forme. En tant qu’artiste, je cherche à capturer l’attention, susciter l’émotion, inviter à la réflexion et véhiculer un message. Il est plus facile de faire un « mind map » très compliqué et peu séduisant qu’un « mind map » simple, attrayant et efficace. Cette recherche d’équilibre entre le contenu et le moyen de le communiquer est un effort permanent.

Dessiner des cartes mentales créatives est à la portée de tout le monde. Celui qui dessine un mind map sur un ordinateur et qui veut l’enrichir pour le rendre plus attrayant doit comprendre que le logiciel n’est pas conçu initialement dans ce sens. Il doit apprendre à sortir de la boite définie par les fonctionnalités de base et rechercher ailleurs l’inspiration (galeries d’images ou gribouillages personnels, outils de dessins et de traitements de photos, choix des couleurs, liberté d’expression dans la forme des branches ou des textes, …).

Comme je l’explique sur le blog, être créatif, ce n’est pas un don, c’est un état d’esprit. Il faut du courage et de la détermination. Il faut croire en soi et avoir l’audace d’aller jusqu’au bout des choses, sans avoir peur d’échouer. Créer c’est essayer, faire, défaire, refaire, casser, construire, combiner, mélanger, séparer… jusqu’à ce que les idées se réalisent. Créer de belles cartes efficaces n’est pas une question de compétence. Il faut avant tout oser et se faire plaisir.

6. J’ai cru comprendre que, pour toi, le « Mind-mapping » sous-tend les sciences cognitives. Peux-tu nous en dire un peu plus sur le sujet ?

Effectivement, il y a une très grande différence entre la notion de « mind mapping » et la notion de « mind map ». La première se rapporte à une activité cérébrale accompagnée par la réalisation d’une carte. Quant à la seconde elle définit uniquement le document iconographique ou informatif produit, principalement utilisé pour structurer et communiquer de l’information. Or pour moi, la valeur recherchée réside dans le processus mental (cognitif) qui accompagne la création des cartes. La réalisation d’un « mind map » sous-entend une activité de « mind mapping » avec un but spécifique et précis. Il peut s’agir d’une réflexion, d’un raisonnement, d’une aide à la prise de décision, d’une collaboration, d’une mémorisation, …

La raison principale qui fait du « mind mapping » une activité efficace est qu’elle nous force à changer de paradigme, à aborder les choses sous un autre angle. En appliquant certaines règles élémentaires (idée centrale, branches courbes, mots clés, couleurs, images, …), nous invitons notre cerveau à penser autrement. Le « mind mapping » devient une solution à partir du moment où l’on obtient un meilleur résultat en comparaison avec le passé. Cependant, le « mind mapping » ne se substituera jamais aux techniques propres requises par chacun des domaines qu’il supporte. En effet, ce n’est pas parce que vous maîtrisez parfaitement le « mind mapping » que vous savez gérer un projet, conduire un brainstorming, présenter un sujet ou prendre des notes efficacement.

7. S’il y a bien un lieu qui résiste encore : c’est l’entreprise. Selon toi quelle serait la bonne approche pour introduire le « mind mapping » dans les organisations

La résistance au changement est un phénomène assez commun chez les adultes et particulièrement dans les entreprises. Or, le « mind mapping » est une activité hors du commun qui nécessite une certaine ouverture d’esprit. L’échec des formateurs à convaincre les employés de consacrer du temps aux « mind maps » une fois de retour à leur bureau réside essentiellement dans le manque de réalisme et de suivi. En effet, on promet généralement aux participants qu’ils seront plus efficaces une fois formés mais la plupart ne savent pas vraiment par où commencer une fois seul ou comment mettre en pratique face à des cas concrets.

Personnellement, je pense qu’il est préférable d’aborder la formation en entreprise sous la forme de coaching. Il est essentiel de connaître le contexte et les tâches qui définissent le travail des acteurs concernés afin d’imaginer comment les aborder de manière différente. Le coach est capable de mieux comprendre les situations particulières et d’adapter la découverte et l’apprentissage afin d’exploiter le potentiel de chacun. Au cours de cet accompagnement, Il a beaucoup plus de chance de réussir à convaincre et transmettre son savoir pour qu’à son tour, l’employé ou le dirigeant réalise les cartes dont il a besoin.

8. Tu utilises iMindMap pour réaliser tes cartes. Pourquoi ce choix ?

iMindMap est pour moi le logiciel qui offre le moins de contraintes pour la réalisation de cartes mentales, tout en respectant les quelques principes de bases. Le problème des applications informatiques est qu’elles ont souvent tendance à enfermer les utilisateurs dans un cadre bien précis, offrant très peu d’opportunités pour en sortir. Or, le « mind mapping » repose essentiellement sur la liberté d’expression. La frustration que peut provoquer le logiciel est contre-productive et va détourner l’attention de l’utilisateur de son objectif initial.

J’ai découvert avec iMindMap une application simple qui permet une utilisation flexible de l’espace. Il permet de créer des branches en toute liberté avec la fonction main levée. L’utilisation des images est quasi illimitée, tant par leur position que par leur taille. L’outil dispose également d’un mode de visualisation en 3-dimensions très séduisant et d’un système de présentation très efficace. Beaucoup d’autres fonctions communes à la plupart des logiciels de « mind mapping » sont également disponibles (galerie d’images, export dans divers formats, outils de gestion, …). Tout récemment, la société ThinkBuzan a lancé la version iMindMap Freedom, une plate-forme qui permet d’accéder et de synchroniser ses cartes à partir des différents appareils connectés au Cloud (smartphone, tablette, PC portable, …).

Personnellement, j’apprécie iMindMap aussi bien pour un usage brut que réfléchi. En effet, le mode « speed mapping » est particulièrement adapté et efficace pour la création de cartes accélérées uniquement en utilisant le clavier (par exemple pour la prise de notes en réunion). Mais je peux aussi passer des heures à explorer les limites du logiciel afin d’obtenir des cartes totalement inédites qui vont jusqu’à surprendre les concepteurs eux-mêmes.

9. Ton site est très orienté apprentissage. As-tu quelques exemples à nous donner pour illustrer le propos ?

La notion d’apprentissage revêt plusieurs sens, allant de la simple réception de l’information (j’ai appris la dernière nouvelle à la radio) jusqu’au changement de comportement (j’ai appris la politesse), en passant par la mémorisation (j’ai appris et retenu les lettres de l’alphabet) et l’acquisition des techniques (j’ai appris à utiliser un marteau ou à multiplier deux nombres).

Le « mind mapping » est particulièrement efficace pour accompagner l’apprentissage d’une leçon qui doit être mémorisée et ensuite restituée. A titre d’exemple, je vous fais part d’une carte réalisée avec mon fils pour retenir une poésie.

Poesie

La technique est assez simple. Elle consiste à placer le titre de l’œuvre au centre de la feuille et de créer une branche ou sous-branche pour chaque vers. L’enfant écrit le ou les premiers mots qui sont clés dans une poésie. Afin de retenir efficacement les phrases exactes, je l’invite à ajouter des pictogrammes de son choix, représentatifs de l’idée générale dégagée. Après quelques lectures avec la carte et en s’exerçant sans la carte (le texte original n’étant plus utilisé), l’enfant est capable après quelques minutes de réciter tout le texte sans problème. Une petite vérification le soir avant d’aller dormir et le matin avant de partir à l’école et l’enfant se présente alors dans de parfaites conditions devant son public pour restituer ce qu’il a mémorisé. Concrètement, le « mind map » se reconstruit dans sa tête si nécessaire, avec plus ou moins de détails en fonctions de l’effort à fournir.

10. Pour toi quel est l’avenir du « mind mapping » ?

Il est très difficile de prédire comment va mûrir ce domaine qui est encore tout jeune. Ce qui est certain, c’est que le monde du « mind map » est en plein essor. En quelques années sont apparus des dizaines de logiciels capables de créer des cartes mentales. Plusieurs sociétés exploitent les « mind maps » comme outils de structuration, de navigation et de partage de l’information et mettent au point des systèmes qui génèrent automatiquement des cartes (parfois très complexes). Beaucoup d’utilisateurs publient et partagent leurs cartes afin d’enrichir la base de connaissance et participer à l’échange du savoir.

Mais pour moi, le « mind mapping », c’est différent. Nous sommes très peu à nous pencher sur les processus mentaux qui mènent à la création d’une carte mais dont l’objectif principal est autre. Grâce à mes recherches sur le terrain, j’espère contribuer au développement dans le domaine et apporter l’éclairage suffisant qui permettra de mieux discerner les deux notions. Je suis convaincu qu’il y a de nombreuses opportunités dans le domaine de l’éducation, au vu des problèmes qu’il va falloir surmonter à très court terme.

2 Responses to “Interview de Philippe Packu”

  1. Je me permet de vous feliciter, c est un regale de vous lire

  2. Du travail d orfevre, merci pour le plaisir.